Lorsqu’un dangereux milliardaire mégalomane prétend que nous pourrions coloniser la planète Mars, Catherine DUFOUR rétorque :
« C’est complètement stupide ! La surface de Mars est couverte de perchlorates irradié, soit du désherbant XXL. Et c’est beaucoup trop loin, il faut six mois pour l’aller, autant pour le retour et il faut attendre 40 minutes entre chaque phrase échangées avec son psy resté·e sur Terre. » Bon elle le dit bien mieux que ça… et elle écrit un bouquin pour enfoncer le clou : « Les champs de la Lune » ou « Il n’y a pas de planète-B ou alors sur la Lune mais alors il va falloir vivre sous sa surface et c’est aussi agréable que de vivre dans un parking. » (Titre de travail qu’elle évoque lors d’un entretien avec Jérôme VINCENT aux Utopiales 2024.)
Il faut noter au passage que Catherine DUFOUR se paie le luxe, si l’on peut dire, d’être éditée par Robert Laffont, une grosse maison d’édition généraliste, alors que son roman est estampillé SF avec tous les marqueurs du genre qui vont bien. On ne peut pas dire qu’elle avance masquée. C’est à peine s’il n’y a pas marqué *« SF écolo-altermondialiste » sur la couverture ! Preuve qu’aujourd’hui comme hier, la SF n’est pas cantonnée à un obscure placard pour ados plus ou moins geeks. Elle se trouve ainsi aux côtés de Margaret ATWOOD, Frank HERBERT ou Ursula K. LE GUIN, excusez du peu ! Preuve aussi que les grosses boîtes bien capitalistes sont prètes à éditer des auteurices qui ne sont pas particulièrement favorables à leur systèmes pour peu que ça se vende… (Robert Laffont est une filliale d’Editis.)
Concernant les avertissements de lecture (TW) Maladie, deuil et infanticide auxquels on pourrait ajouter la claustrophobie et l’asphyxie. L’action se déroule intégralement sur (et sous) la Lune, avec tout ce que cela implique de complication techniques et technologiques pour simplement respirer… Si vous aviez dans l’idée que la Lune deviendrait un milieu hospitalier, mettez une croix rouge dessus, c’est une zone blanche confinée où parasites et maladies mortelles sévissent. Maladies que l’humanité, malgré son développement scientifique, n’est pas toujours capable de soigner ou d’endiguer. Au passage l’administration est toujours égale à elle-même, lente et obstinée, riche en procédures et chiche en moyens. Enfin le système judiciaire étant ce qu’il est dans une société concentrée sur sa survie, l’arsenal mis en place contre les personnes jugées coupables est expéditif, même si ce sont des enfants. La société lunaire tend à s’éloigner de telles pratiques mais y a encore sporadiquement recours. Autrement dit, sur la Lune des gens meurent de maladie ou d’asphyxie, des gens meurent de la bêtise humaine ou du système. Et parfois ces gens sont des enfants.
Ceci étant établie, qu’en est-il de ce roman ? La situation sur la Terre a poussé une partie de l’humanité à s’installer sur la Lune, puis les ponts avec la Terre ont été rompus sans retour possible. L’humanité a commencé à construire des citées en surface, puis, pour remédier aux fragilités trop manifestes de ces habitats, ont construit des villes souterraines, ou plutôt soulunaires. Seules les fermes sont restées en surface pour bénéficier de l’éclairage naturel. El Jardin s’occupe d’une de ces ferme, gigantesque biodome abritant un écosystème complexe qu’elle doit maintenir en équilibre. Elle est assistée par des drones et accompagnée d’un chat augmenté qui parle. En plus de ce travail de tous les instants, El Jardine a deux autres soucis en tête, d’une part une sorte de méduse extrêmophile a réussi à s’adapter aux conditions extérieures, d’autre part une mystérieuse maladie sévie dans les citées soulunaires, maladie dont personne ne semble vouloir trouver la cause ou le remède. Ces préoccupations vont la pousser à prendre le large, entreprendre un long voyage hors de sa ferme, périple qui changera son regard sur son monde. Comme précédemment, je divulgâche peu dans l’article écrit, je rentrerais plus en profondeur dans la version podcast.
Ce roman nous donne un point de vue au plus proche des gens et des choses. Il nous montre que la vie sur la Lune est loin d’être une évidence, et à quelle point la vie en elle-même est précieuse. Il y a quelque chose d’assez saisissant dans ce roman, c’est la façon dont Catherine DUFOUR, par la voix d’El Jardine, met tous les êtres sur un même plan d’égalité. Elle accorde autant de valeur à un humain, un animal, une plante et même un robot. C’est un changement de perspective un peu déroutant mais tellement bienvenu !! Catherine DUFOUR réaffirme comme tant d’autres que nous devons prendre soin de notre bonne vieille Terre car nous n’aurons pas de planète-B, le voyage qu’elle nous offre sur la Lune pour nous en convaincre vaut le détour !